dimanche 10 février 2008

Préface

Ces quelques lignes, d'une oeuvre inachevée, retracent les moments les plus terribles de la vie d’un homme. Nous l’avions incité à écrire, mais la pudeur, les souvenirs lui infligeaient trop de souffrance. L’émotion gagnait l’assemblée même la plus blasée, quand, sur notre indécente insistance, il racontait un morceau de son histoire. Cet homme c’était Valentin. Il était mon pote, mon ami, mon frère. Mieux qu’un père pour moi, il était tout simplement celui qui avait aimé ma mère, nous avait adopté ma soeur et moi, et nous avait donné trois frères et soeur.
Quelque temps avant son départ, il m’avait appelé dans sa chambre-bureau. -"Tiens, toi qui aime les livres, emporte ceux-là" ! Gêné, un sentiment de tristesse m’envahi. Je repartis avec les bouquins, emportant avec moi la curieuse impression qu’il me faisait un cadeau d’adieu. Je ne savais pas que son départ était pour bientôt, et que je recevrai un autre présent encore plus émouvant, son manuscrit inachevé. J'ai eu à ce momment, une folle envie de pouvoir terminer son oeuvre. Mais je ne pouvais le faire sans risquer de trahir son histoire.
Aujourd'hui je rends hommage à l'homme qu’il était, cet homme dont nous ne connaissions pas le courage, et qui, sans qu'il le sache lui-même, a certainement le plus, "forgé" ma personnalité. Celui qui, malgré sa vie de souffrances, savait rire et chanter, avait su découvrir et profiter du bonheur caché au plus profond de lui. Après les malheurs les plus atroces peut-on encore connaître le bonheur? C’est ce mystère qui ma toujours fasciné.
J-C.G.


dimanche 3 février 2008

Notes de l'auteur

L'auteur tient tout d'abord à rendre un émouvant hommage à tous ceux qui ont lutté contre le nazisme et le gouvernement de Vichy. Si ce livre n'a pas été écrit plus tôt, nombreuses circonstances ne s'y sont pas prêtées et il fallait préserver à tout prix l'idéal de la résistance. Tant d'hommes, de femmes, de tous âges, de diverses horizons, sont morts ou ont souffert du fascisme, un peu partout dans le monde. Restons fidèles à leur mémoire, et n'oublions jamais! Nous n'effacerons jamais de notre mémoire, les pelotons d'exécutions, les pendaisons, les camps de concentrations où périrent tant d'hommes et de femmes, des enfants innocents, jamais l'hideuse bête nazie ne paiera assez cher tous ses crimes. N’oublions pas non plus les arrestations, l'emprisonnement, la déportation, et les exécutions faites sous les ordres de Vichy. Si quelques hommes, sous le couvert de la résistance, ont commis des crimes, qui sont décrits dans ce livre, ils n'ont rien à voir avec ceux qui ont tout donné pour chasser l'occupant nazi de notre pays. La vérité doit être connue sur certains faits isolés, restés ignorés et sur les crimes impunis.
Maintenant, voici Maurice, le principal personnage de ce livre. il a 19 ans en 1939, à la déclaration de guerre. C'est l'histoire de sa vie pendant l'occupation. Disons en passant que Maurice était depuis 1936, sympathisant communiste, membre d'un comité de Front Populaire, ardent anti-fasciste, et qu'il l'est resté. Il profite de ce livre pour saluer amicalement et fraternellement ses camarades réfractaires, ceux qu'il a côtoyé au maquis, et ses anciens compagnons de détention.




Voici Maurice :






M.L.


Mobilisation


Châtel-Guyon, 1er septembre 1939. Il est 15h00, le soleil brille et les feuilles des arbres font passer une légère brise sur l'avenue Baraduc.

A la terrasse de l'Hôtel de France, de nombreux clients sont attablés, qui devant un demi de bière, qui devant un café ou un thé. Maurice s'affaire au comptoir tout en écoutant les bavardages qui vont bon train. Il faut dire que depuis quelques jours, c'est le même sujet de conversation: la guerre.

La femme d'un député Front Populaire de la région, et quelques officiers curistes, claironnent que la guerre est inévitable. On parle beaucoup, bien sûr, de l'invasion de la Pologne par l'armée Allemande d'Hitler, mais aussi du pacte de non agression "Germano-Soviétique", conclu entre Hitler et Staline.

Tout à coup, un grand silence se fait au milieu de la chaussée. Le crieur municipal, à califourchon sur son vélo, à l'arrêt, bat du tambour. Tout le monde se tait et écoute: c'est la mobilisation générale ! Cette fois, ça y est ! Il n'y a plus de doute, c'est bien la guerre.

Un peu plus tard dans la soirée, des affiches blanches avec deux drapeaux tricolores imprimés, annoncent l'ordre de la mobilisation générale.

Les gens n'ont pas l'air trop surpris. On s'y attendait, les plus optimistes disent "La mobilisation générale n'est pas la guerre". Dans l'ensemble, la plupart n'y croient pas. Ils trouvent cela impossible. Mais les faits sont là, et il faut répondre à l'ordre de mobilisation. L'Hôtel de France était tenu par deux associés. L'un faisait la cuisine, l'autre le maître d'hôtel. Leur fascicule de mobilisation leur intime l'ordre de partir rapidement et sans délai. Il faut donc fermer l'hôtel le jour même. Maurice est congédié bien entendu, et se promène en ville à la nuit tombée. Il est reconnu par d'anciens camarades qui avaient travaillé avec lui deux ans plus tôt, dans autre hôtel tenu par un Croix-de-Feu. Dès qu'ils l'aperçoivent, ils l'insultent, en le traitant de sale communiste qui a sa place en prison, en attendant les douzes balles dans la peau. Maurice décide de partir sans tarder et rejoint Riom, la ville la plus proche pour prendre le train en direction de Clermont-Ferrand. A la gare, il aperçoit des trains complets qui partent en direction de Saint-Germain-des-Fossés, vers le front. Trains de militaires criant joyeusement : "A la boucherie, à Berlin". Convois de matériel ayant servi à la guerre de 14-18 : wagons plats chargés de canons montés sur caissons, "charettes fouragères", ravitaillement et surtout du foin pour les chevaux. D'autres wagons de marchandises, ouverts ceux-là, marqués : Hommes 40 - Chevaux en long 8. Les derniers transportent les hommes de troupe et les chevaux.

Le spectacle est triste à voir, et malgré l'insouciance de cette jeunesse qui part au sacrifice, les larmes viennent aux yeux.



La mine

Beaucoup de ces jeunes étaient loin de penser que cette guerre durerait près de 6 ans, et que beaucoup d'entre eux seraient prisonniers 5 ans en Allemagne.
Maurice rejoint Clermont-Ferrand, et part dans une localité minière où se trouve sa mère.
Le lendemain 2 septembre 1939, la France déclare la guerre à l'Allemagne, sans même avoir consulté le Parlement. Elle est imitée par l'Angleterre. Cette fois, c'est bien la guerre. Les réservistes rejoingnent le dépôt militaire qui leur est assigné. Les foyers se vident des hommes valides et en âge de porter les armes. A part les vieillards et les adolescents, on ne croise plus que des femmes et des enfants dans les rues.
Maurice décide de se faire embaucher à la mine de charbon, comme beaucoup de jeunes de son âge, ne pouvant plus exercer leur métier.
Il est affecté au fond, comme aide-piqueur, à l'extraction de la houille.



Les Maquisarts

Au cours de l'été 1943, nous avons trouvé dans le bois, accroché aux branches d'un arbre, un morceau de ballon de couleur blanche, en caoutchouc ou d'une matière similaire. Ce ballon était prolongé d'un tuyau brûlé à son extrèmité. Nous en avions déduit qu'un avion Anglais, avait envoyé quelque chose au dessus de la forêt. Ce qui nous laissait à penser qu'un maquis pouvait bien s'y trouver. Nous n'avons bien sûr rien dit à personne, et mis cet objet dans le grenier. Cela nous intriguait beaucoup, tout en nous donnant beaucoup d'espoir en même temps. Aussi, nous nous promenions souvent dans ce bois, en regardant un peu partout, pour essayer de découvrir ce maquis tant souhaité.
Un après midi de septembre, nous avons aperçu de la fumée s'élever d'un endroit assez touffu. Dans un haut taillis, près d'une grande parcelle de sapins. En localisant d'où provenait cette fumée, nous sommes arrivés par un sentier à peine visible, dans une grande clairière où se trouvaient réunis des jeunes gens de notre âge, que nous n'avions jamais vu. C'était bien un maquis, qui d'ailleurs ne semblait pas encore armé à l'époque. Nous nous sommes présentés, et avons proposé gratuitement du ravitaillement à ces camarades réfractaires. Ils ont refusés en nous disant qu'ils avaient tout ce qu'il fallait, et n'avaient besoin de rien. Ces maquisarts venaient d'être victimes d'un incendie. C'est la raison qui explique la fumée qui nous a conduite à eux. Ils vivaient sous terre, ayant creusé une tranchée souterraine qui se prolongeait très loin. Le camp était aménagé dans ce trou, véritable terrier qui aurait pu abriter une centaine de fauves.
La terre sortie de cet ouvrage, formait une petite colline que recouvrait vaguement les branchages des arbres. Du ciel, un avion n'aurait pas pu distinguer ce monticule. A l'entrée de la galerie, une petite croix de Lorraine en bois, ressemblant à une quille, était accrochée à un piquet avec deux ficelles. J'ai supposé que matin et soir, ces jeunes présentaient les honneurs à la croix de Lorraine en guise de drapeau, comme on monte et abaisse les couleurs dans l'armée.
J'ai trouvé cela sectaire et fanatique. Après avoir fait connaissance, j'ai proposé, comme nous étions voisins en somme, de nous revoir souvent. Celui qui semblait être leur chef, m'a répondu qu'il valait mieux ne plus revenir. J'ai été étonné, et lui ai assuré de garder le secret et que notre maison leur était ouverte en cas de besoin. Malgré cela, il m'a été demandé et fermement cette fois, de ne plus avoir de contact, car les chefs supérieurs nous considéraient comme suspects. Quel coup ! Suspects, nous les premiers réfractaires de la région! Il n'y avait rien a répondre, mais j'étais sidéré. Evidement les responsables directs, étaient du coin, je l'ai su plus tard. Quelques paysans ambitieux, dont 2 sur 3 ayant été réformés pour le service militaire, trouvaient là, une occasion de se rendre intéressants en jouant aux héros. Comme nous étions les plus pauvres de ma commune et par nos idées, considérés comme des "partageux", ces bons Français ne voulaient pas se mélanger avec les "macaronis". Surtout, ils ne voulaient pas courir le risque d'avoir des ennuis avec l'ordre établi. Pour eux, la résistance servait leurs ambitions et allait leur donner des avantages, mais Londres était loin, et ils vivaient à l'heure du gouvernement de Vichy. Alors pas de compromissions avec les jeunes turbulents qui avaient en plus une mauvaise réputation.
Nous en restâmes donc là, de nos relations, et n'avons plus eu de contact, gardant jalousement pour nous ce secret, afin qu'aucun bavard puisse mettre en danger leur sécurité. A cette époque, il fallait se méfier de tout le monde, et une dénonciation était toujours à craindre.



La prison

La nuit est noire sans un seul rayon de lune dans la campagne, où règne un silence profond que trouble seulement le bruit des moteurs des deux automobiles qui roulent vers la ville.
Après un trajet assez long, les premières maisons apparaîssent. Les rues sont désertes et noires comme la nuit, car aucun éclairage n'est visible. Il doit être tard, minuit peut-être plus, en cette fin de journée d'avril 1944.
Tout à coup, le convoi s'arrête sur une place assez vaste, qu'éclaire seulement les phares des voitures. Un carillon tout proche égrène quelques sons aigus qui percent le silence de la nuit.
Un des occupants de la première voiture en descend, fait un geste convenu, comme un signal, et aussitôt des projecteurs innondent la place, de lumière. l'Homme remonte en voiture. C'est un gendarme français en tenue. Il fait partie du convoi qui amène deux jeunes hommes en prison. Nous sommes devant la prison de Riom, la maison d'arrêt très exactement, qu'il ne faut pas confondre avec la centrale , où sont détenus à de longues peines de réclusion, les condamnés de droit commun.
Les voitures avancent lentement et franchissent les quelques mètres qui les séparent de l'entrée. Un mur très haut et sinistre apparaît, à chaque angle, un mirador occupé par deux hommes armés de fusils-mitrailleurs, qui manoeuvrent un projecteur qui balaie de ses rayons lumineux tout le devant de la bâtisse. Un grand portail apparaît, sinistre lui aussi, comme une porte de prison, c'est le cas de le dire. A hauteur d'homme, en son milieu, un judas et sur le côté, une sonnette. Le gendarme qui avait fait les signaux de reconnaissance tout à l'heure, redescend de voiture et va sonner à la porte. Aussitôt, le judas s'ouvre et une brève conversation s'engage entre les deux hommes. Quelques secondes plus tard, le grand portail s'ouvre pour laisser entrer les voitures, et se referme aussitôt derrière elles. Nous sommes dans la première cour de la prison. En face du portail se trouve des grilles fermées à clef, à gauche, un escalier conduisant au mur de ronde. A droite le greffe, où se font les formalités d'écrou.
Les portières des voitures s'ouvrent brutalement, en sortent quatre gendarmes qui poussent devant eux, deux jeunes gens, mal en point, menottes aux poignets. Ces derniers ont été arrêtes en fin d'après midi par ces mêmes gendarmes, Français comme eux, et son conduits maintenant au greffe de la prison, pour la réception d'usage. Après avoir reçu une décharge signée par le gardien-chef de la maison d'arrêt, les gendarmes s'en retournèrent dans leurs véhicules, des voitures à essence réquisitionnées à des civils, car les brigades de gendarmeries de l'èpoque, n'étaient pas motorisées, les "pandores" se déplacaient à vélo. Lorsque c'était indispensable pour accomplir leur mission, ils réquisitionnaient à des particuliers des véhicules à essence, car le carburant était en grande partie composé par le gazo-bois. Ce n'était pas rapide, salissant et les risques d'arrets étaient féquents.
Pour en revenir à nos deux jeunes lascars, , ils font grise mine dans le bureau du gardien. Pas fières les deux gars, et pourtant ils n'ont ni tué, ni volé. Commence les formalités d'identité, la fouille.
( Michel Luxembourg parle maintenant à la première personne).
Nos gardes-chiourmes nous ont conduit vers le poste de garde où se trouvait une sorte de "photomaton" pour nous photographier. Les photos faites, ils nous ont délivrés des cartes d'identité.
Un beau matin, à l'aube, il nous ont fait descendre dans un espèce de garage, où nous attendait un autobus. Nous sommes montés dedans sous la menace des mitraillettes, et direction la gare. Ils nous ont fait monter dans un wagon de voyageurs (nous avions le luxe de ne pas voyager dans un wagon à bestiaux). Deux camarades, dont un nommé Delorme, de la Haute Loire, ont été menottés, parce qu'ils avaient protesté. Menottes aux mains, nos copains avaient triste mine. En les voyant, je ne sais pourquoi, un fou-rire m'a pris. C'était nerveux vraisemblablement.
Nos deux gardiens armés de mitraillettes ont pris place sur les deux plateformes du wagon, fenêtres fumées, avec défense de bouger. Le wagon a été rataché en queue du train régulier de Paris, juste avant le dernier fourgon. C'était le jeudi 6 juillet, le lendemain de l'arrivée à Dachau de mes camarades survivants du train de la mort, et le jour où ma mère est venue pour me voir, suite au télégramme cité plus haut.
En passant à Moulin, mon copain arrété en même temps que moi, a voulu saluer un camarade cheminot se trouvant sur le quai, mais l'autre ne l'a pas vu, ni entendu, car les gardiens nous empêchaient d'ouvrir les fenêtres, et même de faire des gestes.
Arrivés à Paris, gare de Lyon, nous avons été pris en charge par des autobus de la CTRP, sous bonne garde, impossible de s'échapper. Nous avons été conduits à la caserne de la Pépinière, arrivés là, nous avons été mis dans de grandes cages grillagées, comme des gorilles au zoo. Nous étions gardés par des soldats allemands pacifiques, des vétérans, qui devaient avoir fait la guerre de 14-18. Nous parlions avec eux librement, sans aborder le sujet qui nous avait amenés là !
Au cours d'une de ces conversations, l'un d'entre eux, nous dit "guerre, c'est capitalisme responsable". Il était visible que ces soldats ne croyaient plus en leur victoire. Ils auraient préféré être dans leur foyers, avec leurs femme et leurs enfants.
Vers midi, on nous a servi une soupe, mais pas de cuillère pour la manger. Il y avait des gamelles, on s'est débrouillés comme on a pu, quelques-uns, ont emprunté une cuillère trouvée par hasard, et on se l'est repassé.
En fin d'après midi, on nous a distribué à chacun, une boule de pain et une saucisse. Notre subsistance jusqu'à Cologne, notre destination.
Nouvel embarquement en autobus, et retour à la gare de Lyon, cette fois escortés par les Allemands de la Pépinière. Nous avons embarqués dans des wagons de voyageurs de banlieue, des vieux wagons qui comportaient une portière à chaque compartiment. Une fois montés dedans, les portières ont été verrouillées. Il était tard, la nuit tombait. Je calculais comment je pourrais sauter du train en marche, j'avais conservé ma vieille capote militaire, que j'avais fais teindre en noir après ma démobilisation de l'armée d'Armistice.
La nuit tombait et le train s'ébranla doucement. Tout à coup, des illuminations dans le ciel, suivis d'un bruit d'enfer, les Alliés bombardaient la gare de Villeneuve-Saint-Georges. Le train s'arrêta, et quelqun cria "sauve qui peut". Les portes furent ouvertes, par qui ? Je l'ignore! Nous en avons tous profité pour sauter des wagons. Le bombardement se poursuivait, il y avait des palissades en ciment le long de la ligne de chemin de fer, nous avons sauté avec allègresse, et nous sommes arrivées dans des jardins. C'était vers Maison-Alfort. Nous courrions de toutes nos jambes. Je me suis retrouvé avec deux gars de mon âge, déportés comme moi, un était de Saint-Germain en Laye, et l'autre de la Haute-Loire. Ce dernier était interné à Riom.



samedi 2 février 2008

2ème arrestation

Juillet 1944.

Transféré de la prison de Riom à une annexe de la gestapo à Chamalières, où des médecins Allemands nous ont fait passer une visite medicale pour déterminer si nous étions aptes à travailler en Allemagne.

Arrivée à Chamalières, dans des bâtiments disposés autour d'une grande cour, nos gardiens, "gardes mobiles", nous ont laissés sous protection de "sbires" Français, en civil à la marche nonchalante qui arrivaient en tractions avant, la mitraillette démontés dan les poches du pantalon. Ils étaient venus sans attirer l'attention des passants, maintenant qu'ils étaient loin des curieux, ils exhibaient leurs armes ouvertement.
Ensuite, sous bonne protection nous avons passé la visite médicale. Les gars d'un certain âge ont été déclarés inaptes et renvoyés dans leur foyer, en résidence surveillée. Les autres bons pour partir en Allemagne, j'étais de ceux-là!
Sitôt la visite médicale terminée, mes camarades inaptes à cause de leur âge, sont renvoyés chez eux. Je ne sais d'ailleur comment nous sommes partis, sous bonne escorte pour Clermont place Delille, dans un immeuble tous volets fermés. Nous sommes gardés par des civils "Français", le révolver à la ceinture comme les cow-boys. Nous couchions par terre, à même le parquet, gardés jour et nuit par des sbires. Cela nous semblait bon malgrè tout, par rapport au régime de Riom. Pour les repas, deux ou trois détenus étaient désignés à tour de rôle, encadrés de deux gardiens armés, mais armes non apparentes, pour aller chercher les repas dans un restaurant voisin. Quelle différence avec la prison ! Nous étions vraiment dans une prison dorée, mais la liberté nous manquait, ainsi que notre famille, et tous ceux qui nous étaient chers.
Dans l'aprés-midi du jour où nous sommes arrivés dans notre nouveau lieu de détention, les mêmes gendarmes Français qui nous avaient arreté mon copain et moi, sont venus chercher un de autre de nos camarades. Il s'appelait (ou avait comme nom de guerre) "Castex" ou "Castel". Ils l'ont fait monter dans une camionette, ont armé leurs fusils. Cela ressemblait à un peloton d'éxécution. L'ont-ils emmené à Riom, L'ont-ils éxécuté quelque part à la caserne du 92 RI à Aulnat, ou l'ont-ils libéré ? Nous ne savons pas, car ils ont pris la direction de ces endroits cités plus haut, dans cette période, tout était possible ! On espèrait toujours une libération par des maquisarts déguisés en gendarmes, comme on l'avait espéré pour Jean Zay, lorsque la milice est venue le chercher à Riom.
Après la libération, de nombreux charniers avaient été découverts à la caserne du 92 RI, ainsi qu'à Aulnat et à divers endroits, où avaient séjourné d'ailleurs, les forces de répressions Françaises et Allemandes.
Je sais maintenant que le fameux immeuble était situé au N° 4 de la Place Delille. C'était le siège (ou une annexe du moins) du fameux Bureau de placement Allemand (BPA).
Deux ou trois jours après notre arrivée, nous avons été conduits au rez-de-chaussée dans une grande salle qui faisait office de bureau, on nous a fait signer un papier, et on nous a demandé l'adresse de nos familles, en nous disant qu'on la préviendrait de notre départ en Allemagne. Ce doit être ce télégramme envoyé à ma mère , qui a motivé son déplacement à Clermont, et par la suite cette affreuse tragédie. Les Allemands étant très rusés, ils ont du mentir et dire que nous étions volontaires pour l'Allemagne. Je regrette sincèrement (et j'en ai encore aujourd'hui les remords) comme la plupart de mes camarades, d'avoir donné l'adresse de ma famille, mais j'ignorais tout ce qui s'était passé depuis mon arestation.



Le drame



... J’arrivais vers la gare. Il faisait déjà nuit depuis près d’une heure. La plupart des gens étaient couchés; quelques rares lumières de-ci de-là, laissaient deviner un foyer. J’avançais rapidement, sans faire de bruit, marchant sur le bas-côté gauche de la route. Mon coeur battait très fort , mais toutes la volonté de mon être était tendu vers le but : retrouver ma maison , ma famille, et me reposer. Malgré ma fatigue la faim et les pieds qui me faisaient terriblement souffrir, je hâtais le pas.
J’ai quitté la route pour prendre la ligne de chemin de fer, environ quatre kilomètres me séparait de ma maison, trajet désert sans une habitation à part un village juste avant l’arrivée. En passant dans le petit bois de sapins, paysage sauvage où ma camarade d’enfance a été assassinée en avril, mon coeur battait encore plus fort. Je respirais à peine et une sorte de peur me prenait aux entrailles. C’est rapidement que j’ai quitté ce lieu en hâtant le pas, et sans me retourner. A mesure que j’avançais, il me venait un sombre pressentiment que je ne pouvais pas chasser. L’inquiétude me prenait, pourquoi ? Je ne pouvais pas le définir, mais la peur ne me lâchait plus.
En arrivant au village, un kilomètre avant la maison, j’ai hésité. J'ai réfléchis une seconde pour savoir si j’allais emprunter la route, ou continuer la ligne de chemin de fer. D'habitude, en venant de nuit en nous cachant, nous prenions toujours la ligne de chemin de fer, cinquante mètres après le passage à niveau, il fallait franchir un petit pont en marchant doucement pour ne pas faire de bruit. Ensuite, deux cents mètres plus loin, avant l’entrée du tunnel, nous montions le remblai, puis la tranchée, par un petit sentier qui débouchait sur un chemin entouré de petits bois et de champs, dont les haies nous protégeaient jusqu’à la maison. Nous n’avions plus que la route à traverser à découvert, pour être chez, nous.

Ce soir là, contrairement à l’habitude, j’ai choisi la route, pour plusieurs raisons. La première j’avais peur, je ne sais pourquoi, qu’il se trouve quelqu’un sur le pont ou vers le tunnel.
Les autres raisons étaient : la fatigue me faisait redouter de monter le talus, et la crainte de faire du bruit sur le pont... Et puis ce pressentiment qui ne me lâchait plus. Mais je touchais au but, j’allais retrouver ma mère, mes petits frères et soeurs, le repos enfin.

Je marchais sans bruit, connaissant les habitants qui m'auraient dénoncé s'ils m'avaient aperçu. En passant devant la maison de R..., la lumière du dehors s’est allumée sur la route, en éclairant une bonne surface. J’ai hâté le pas en tournant la tête pour ne pas me faire reconnaître. Un homme ou deux montaient la garde dans le hangar à fourrage, ils ont allumé la lumière lorsqu’ils ont entendu le bruit des pas. Ils ont dû me reconnaître, pris dans le faisceau de la lumière. Une fois revenu dans le noir, une trentaine de mètres franchis, j’ai entendu des pas derrière moi. En me retournant, j’ai distingué un homme tenant quelque chose de long sur le bras, qui devait être un fusil. Je me suis mis à courir en longeant le bord de la route, afin d’éviter le bruit. Les chiens se sont mis à aboyer derrière moi, qui courait à en perdre le souffle. Il me semblait que mon poursuivant courait également, mais bien sûr je ne me retournais pas, et qu'il ne ralentissait pas l’allure.

Arrivé à cinq cents mètres peut-être, dans un endroit très sombre, je me suis arrêté pour respirer. Aucun bruit paraissant suspect, mais toujours l’aboiement des chiens dans le village que je venais de traverser. Mon coeur battait à se rompre, mes nerfs étaient tendus, et dans un dernier effort, j’ai repris ma course, décidé à ne plus m’arrêter jusqu’à la maison. En passant devant la ferme de G...., les chiens ont de nouveau aboyé l’espace de quelques secondes, puis se sont tus.
En arrivant vers la maison voisine de la mienne, cinquante mètres avant, je me suis arrêté pour écouter. Tout était calme. J’ai repris ma route, et une odeur de brûlé me parvenait. Lorsque je suis arrivé, quel spectacle m’attendait. Notre maison était incendiée, l’odeur de cramé me prenait à la gorge. J’ai pensé à mon pressentiment. Qu’étaient devenus ma mère, mes petits frères et soeurs ? Quel malheur venait de s’abattre sur eux. Je n’ai pas pu pleurer tellement ma gorge était serrée. Pourquoi nous avoir fait cela ? Bien sur ce ne pouvait être que les Allemands ou la milice, qui d’autre aurait fait une chose aussi horrible. Je m’apprêtais à faire le tour de la maison, lorsque j’entendis de nouveau les chiens aboyer. Cela provenait de la ferme de G..., mon poursuivant était à deux ou trois cents mètres de là, il me restait cinquante mètres à faire pour me cacher dans la petite carrière après la maison la plus proche. Je m’y précipitais, le coeur battant, le souffle coupé, et restant là un temps que je ne peux pas définir. Une demi-heure ? Une heure, mais un temps interminable. Ensuite j’ai de nouveau entendu les aboiements des chiens à la ferme G..., puis le silence à nouveau.

Je n’arrivais pas à partir de ma cachette, l’oreille tendue au moindre bruit. Les aboiements des chiens provenant du village se faisaient de nouveau entendre. J’en ai conclu que celui qui me poursuivait était rentré chez lui. Enfin il ne me restait plus qu’à trouver un endroit plus confortable pour dormir. J’avisais un espace vide touchant la maison de nos voisins, abrité par une haute haie épaisse qui cachait la vue de la route.

Avant de m’endormir d’un sommeil de plomb, tout tournait dans ma tête. Quel malheur ! Où pouvaient être en ce moment mes êtres chers. Moi qui comptait retrouver un foyer et pouvoir me reposer avant d’aller rejoindre un maquis. Avec la fatigue, le sommeil l’a emporté sur mes tristes pensées et ma douleur. Que c’est dur de ne pas pouvoir verser de larmes, pleurer m’aurait soulagé.

Au petit matin, juste avant le lever du soleil, la fraîcheur m’a réveillée, et je suis revenu à la triste réalité. Quelle heure pouvait-il être ? Quatre heures environ ? Peut-être! Après être revenu à ces murs noircis qui avaient été notre maison, j’en ai fait le tour. J'ai cherché à trouver quelque chose, tout était perdu, il ne restait plus rien ! La douleur et la colère m’étouffaient. Pourquoi encore tout cela !
Tout était silencieux dans la campagne encore endormie, troublée de temps en temps par le chant d’un coq ou l’aboiement d’un chien dans le lointain. Pas un chant d’oiseau, seul un silence de mort régnait sur ce coin perdu.
Le ciel était clair, et une belle journée commençait, le soleil n’était pas encore levé et la campagne encore endormie. De temps à autre, un vol d’oiseau venait troubler ce silence profond. Je me suis décidé à aller voir vers le poulailler en prenant un petit sentier à l’orée du bois. Personne !
En quittant le bois, j’ai traversé notre champ, en ai fais le tour, rien qui puisse me fixer sur le sort de ma famille. Ironie du sort, c’est dans ce champ, à la lisière du bois, que notre maison précédente avait également brûlée un soir de Noël 1926. A l’emplacement de la baraque, encore quelques débris de tuiles, attestaient qu’il y avait eu une habitation. Le champ "Notre Terre" comme nous l’appelions, était un véritable jardin. Des petits poids, haricots, pommes de terre, et bien d’autres légumes poussaient, à côté des groseilliers et des fraisiers. Tout était bien entretenu, on voyait là la passion de ma mère pour le jardinage.

J’ai quitté ces lieux qui me rappelaient des souvenirs; à part l’incendie précédent, dix huit ans plus tôt. C’est de bons souvenirs, aujourd’hui très tristes. J’ai traversé un petit bois de sapins, pour déboucher dans un ancien hameau abandonné, et là j’ai vu les maisons en ruine, incendiées probablement par les Allemands. Avant de quitter ce lieu sinistre, isolé en bordure du bois, j’ai pris un chevron noirci par le feu et j’ai tracé sur un mur une croix de lorraine entourée d’un grand "V".
Je suis revenu vers ce qui avait été notre maison, le soleil commençait à pointer à l’horizon, tout s’éveillait, la campagne commençait à bouger et mille bruits se faisaient entendre. Un champ de genêts s’offrait à moi à cent mètres, j’allais m’y cacher en regardant bien autour de moi, et je me suis endormi.
Lorsque je me suis réveillé, le soleil brillait au dessus du champ, il devait être très tard, dix heures? onze heures? Je me suis levé légèrement pour regarder tout autour s’il n’‘y avait personne, la route était en bas, et en face, de l’autre côté se trouvait la carrière où je m’étais caché cette nuit. A mi-chemin entre la ferme de G... et la maison de mes voisins les plus proches.
Je me suis décidé à me rendre chez G..., pour avoir des nouvelles des miens, et savoir ce qui était arrivé. En arrivant sur la route une moto débouchait, j’eu juste eu le temps de me jeter dans la carrière. Après son passage, j’ai pu me rendre chez G.... Et là, j’ai eu la joie, le peu de joie à coté de tant de malheurs, de retrouver mes petits frères et soeurs, sains et saufs. Ils avaient été recueillis par G.., le jour du sinistre.

..... // ......
Ma mère a disparue. Elle aurait été assassinée le vendredi 7 juillet, 2 jours avant mon arrivée, c’est a dire le jour où je quittais Paris.
Le jeudi 6, elle aurait été à Clermont pour me voir, suite au télégramme envoyé par les Allemands, j’étais déjà parti. Le soir même, après être venue en voiture avec une dame qui l’avait prise à Manzat, et qu’elle avait hébergé pour la nuit, notre maison brûlait. C’est en allant (ou en venant) déclarer le sinistre à Saint Gervais Qu’elle aurait été kidnappée par des éléments du maquis.

Michel Luxembourg