samedi 2 février 2008

Le drame



... J’arrivais vers la gare. Il faisait déjà nuit depuis près d’une heure. La plupart des gens étaient couchés; quelques rares lumières de-ci de-là, laissaient deviner un foyer. J’avançais rapidement, sans faire de bruit, marchant sur le bas-côté gauche de la route. Mon coeur battait très fort , mais toutes la volonté de mon être était tendu vers le but : retrouver ma maison , ma famille, et me reposer. Malgré ma fatigue la faim et les pieds qui me faisaient terriblement souffrir, je hâtais le pas.
J’ai quitté la route pour prendre la ligne de chemin de fer, environ quatre kilomètres me séparait de ma maison, trajet désert sans une habitation à part un village juste avant l’arrivée. En passant dans le petit bois de sapins, paysage sauvage où ma camarade d’enfance a été assassinée en avril, mon coeur battait encore plus fort. Je respirais à peine et une sorte de peur me prenait aux entrailles. C’est rapidement que j’ai quitté ce lieu en hâtant le pas, et sans me retourner. A mesure que j’avançais, il me venait un sombre pressentiment que je ne pouvais pas chasser. L’inquiétude me prenait, pourquoi ? Je ne pouvais pas le définir, mais la peur ne me lâchait plus.
En arrivant au village, un kilomètre avant la maison, j’ai hésité. J'ai réfléchis une seconde pour savoir si j’allais emprunter la route, ou continuer la ligne de chemin de fer. D'habitude, en venant de nuit en nous cachant, nous prenions toujours la ligne de chemin de fer, cinquante mètres après le passage à niveau, il fallait franchir un petit pont en marchant doucement pour ne pas faire de bruit. Ensuite, deux cents mètres plus loin, avant l’entrée du tunnel, nous montions le remblai, puis la tranchée, par un petit sentier qui débouchait sur un chemin entouré de petits bois et de champs, dont les haies nous protégeaient jusqu’à la maison. Nous n’avions plus que la route à traverser à découvert, pour être chez, nous.

Ce soir là, contrairement à l’habitude, j’ai choisi la route, pour plusieurs raisons. La première j’avais peur, je ne sais pourquoi, qu’il se trouve quelqu’un sur le pont ou vers le tunnel.
Les autres raisons étaient : la fatigue me faisait redouter de monter le talus, et la crainte de faire du bruit sur le pont... Et puis ce pressentiment qui ne me lâchait plus. Mais je touchais au but, j’allais retrouver ma mère, mes petits frères et soeurs, le repos enfin.

Je marchais sans bruit, connaissant les habitants qui m'auraient dénoncé s'ils m'avaient aperçu. En passant devant la maison de R..., la lumière du dehors s’est allumée sur la route, en éclairant une bonne surface. J’ai hâté le pas en tournant la tête pour ne pas me faire reconnaître. Un homme ou deux montaient la garde dans le hangar à fourrage, ils ont allumé la lumière lorsqu’ils ont entendu le bruit des pas. Ils ont dû me reconnaître, pris dans le faisceau de la lumière. Une fois revenu dans le noir, une trentaine de mètres franchis, j’ai entendu des pas derrière moi. En me retournant, j’ai distingué un homme tenant quelque chose de long sur le bras, qui devait être un fusil. Je me suis mis à courir en longeant le bord de la route, afin d’éviter le bruit. Les chiens se sont mis à aboyer derrière moi, qui courait à en perdre le souffle. Il me semblait que mon poursuivant courait également, mais bien sûr je ne me retournais pas, et qu'il ne ralentissait pas l’allure.

Arrivé à cinq cents mètres peut-être, dans un endroit très sombre, je me suis arrêté pour respirer. Aucun bruit paraissant suspect, mais toujours l’aboiement des chiens dans le village que je venais de traverser. Mon coeur battait à se rompre, mes nerfs étaient tendus, et dans un dernier effort, j’ai repris ma course, décidé à ne plus m’arrêter jusqu’à la maison. En passant devant la ferme de G...., les chiens ont de nouveau aboyé l’espace de quelques secondes, puis se sont tus.
En arrivant vers la maison voisine de la mienne, cinquante mètres avant, je me suis arrêté pour écouter. Tout était calme. J’ai repris ma route, et une odeur de brûlé me parvenait. Lorsque je suis arrivé, quel spectacle m’attendait. Notre maison était incendiée, l’odeur de cramé me prenait à la gorge. J’ai pensé à mon pressentiment. Qu’étaient devenus ma mère, mes petits frères et soeurs ? Quel malheur venait de s’abattre sur eux. Je n’ai pas pu pleurer tellement ma gorge était serrée. Pourquoi nous avoir fait cela ? Bien sur ce ne pouvait être que les Allemands ou la milice, qui d’autre aurait fait une chose aussi horrible. Je m’apprêtais à faire le tour de la maison, lorsque j’entendis de nouveau les chiens aboyer. Cela provenait de la ferme de G..., mon poursuivant était à deux ou trois cents mètres de là, il me restait cinquante mètres à faire pour me cacher dans la petite carrière après la maison la plus proche. Je m’y précipitais, le coeur battant, le souffle coupé, et restant là un temps que je ne peux pas définir. Une demi-heure ? Une heure, mais un temps interminable. Ensuite j’ai de nouveau entendu les aboiements des chiens à la ferme G..., puis le silence à nouveau.

Je n’arrivais pas à partir de ma cachette, l’oreille tendue au moindre bruit. Les aboiements des chiens provenant du village se faisaient de nouveau entendre. J’en ai conclu que celui qui me poursuivait était rentré chez lui. Enfin il ne me restait plus qu’à trouver un endroit plus confortable pour dormir. J’avisais un espace vide touchant la maison de nos voisins, abrité par une haute haie épaisse qui cachait la vue de la route.

Avant de m’endormir d’un sommeil de plomb, tout tournait dans ma tête. Quel malheur ! Où pouvaient être en ce moment mes êtres chers. Moi qui comptait retrouver un foyer et pouvoir me reposer avant d’aller rejoindre un maquis. Avec la fatigue, le sommeil l’a emporté sur mes tristes pensées et ma douleur. Que c’est dur de ne pas pouvoir verser de larmes, pleurer m’aurait soulagé.

Au petit matin, juste avant le lever du soleil, la fraîcheur m’a réveillée, et je suis revenu à la triste réalité. Quelle heure pouvait-il être ? Quatre heures environ ? Peut-être! Après être revenu à ces murs noircis qui avaient été notre maison, j’en ai fait le tour. J'ai cherché à trouver quelque chose, tout était perdu, il ne restait plus rien ! La douleur et la colère m’étouffaient. Pourquoi encore tout cela !
Tout était silencieux dans la campagne encore endormie, troublée de temps en temps par le chant d’un coq ou l’aboiement d’un chien dans le lointain. Pas un chant d’oiseau, seul un silence de mort régnait sur ce coin perdu.
Le ciel était clair, et une belle journée commençait, le soleil n’était pas encore levé et la campagne encore endormie. De temps à autre, un vol d’oiseau venait troubler ce silence profond. Je me suis décidé à aller voir vers le poulailler en prenant un petit sentier à l’orée du bois. Personne !
En quittant le bois, j’ai traversé notre champ, en ai fais le tour, rien qui puisse me fixer sur le sort de ma famille. Ironie du sort, c’est dans ce champ, à la lisière du bois, que notre maison précédente avait également brûlée un soir de Noël 1926. A l’emplacement de la baraque, encore quelques débris de tuiles, attestaient qu’il y avait eu une habitation. Le champ "Notre Terre" comme nous l’appelions, était un véritable jardin. Des petits poids, haricots, pommes de terre, et bien d’autres légumes poussaient, à côté des groseilliers et des fraisiers. Tout était bien entretenu, on voyait là la passion de ma mère pour le jardinage.

J’ai quitté ces lieux qui me rappelaient des souvenirs; à part l’incendie précédent, dix huit ans plus tôt. C’est de bons souvenirs, aujourd’hui très tristes. J’ai traversé un petit bois de sapins, pour déboucher dans un ancien hameau abandonné, et là j’ai vu les maisons en ruine, incendiées probablement par les Allemands. Avant de quitter ce lieu sinistre, isolé en bordure du bois, j’ai pris un chevron noirci par le feu et j’ai tracé sur un mur une croix de lorraine entourée d’un grand "V".
Je suis revenu vers ce qui avait été notre maison, le soleil commençait à pointer à l’horizon, tout s’éveillait, la campagne commençait à bouger et mille bruits se faisaient entendre. Un champ de genêts s’offrait à moi à cent mètres, j’allais m’y cacher en regardant bien autour de moi, et je me suis endormi.
Lorsque je me suis réveillé, le soleil brillait au dessus du champ, il devait être très tard, dix heures? onze heures? Je me suis levé légèrement pour regarder tout autour s’il n’‘y avait personne, la route était en bas, et en face, de l’autre côté se trouvait la carrière où je m’étais caché cette nuit. A mi-chemin entre la ferme de G... et la maison de mes voisins les plus proches.
Je me suis décidé à me rendre chez G..., pour avoir des nouvelles des miens, et savoir ce qui était arrivé. En arrivant sur la route une moto débouchait, j’eu juste eu le temps de me jeter dans la carrière. Après son passage, j’ai pu me rendre chez G.... Et là, j’ai eu la joie, le peu de joie à coté de tant de malheurs, de retrouver mes petits frères et soeurs, sains et saufs. Ils avaient été recueillis par G.., le jour du sinistre.

..... // ......
Ma mère a disparue. Elle aurait été assassinée le vendredi 7 juillet, 2 jours avant mon arrivée, c’est a dire le jour où je quittais Paris.
Le jeudi 6, elle aurait été à Clermont pour me voir, suite au télégramme envoyé par les Allemands, j’étais déjà parti. Le soir même, après être venue en voiture avec une dame qui l’avait prise à Manzat, et qu’elle avait hébergé pour la nuit, notre maison brûlait. C’est en allant (ou en venant) déclarer le sinistre à Saint Gervais Qu’elle aurait été kidnappée par des éléments du maquis.

Michel Luxembourg



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