dimanche 3 février 2008

La prison

La nuit est noire sans un seul rayon de lune dans la campagne, où règne un silence profond que trouble seulement le bruit des moteurs des deux automobiles qui roulent vers la ville.
Après un trajet assez long, les premières maisons apparaîssent. Les rues sont désertes et noires comme la nuit, car aucun éclairage n'est visible. Il doit être tard, minuit peut-être plus, en cette fin de journée d'avril 1944.
Tout à coup, le convoi s'arrête sur une place assez vaste, qu'éclaire seulement les phares des voitures. Un carillon tout proche égrène quelques sons aigus qui percent le silence de la nuit.
Un des occupants de la première voiture en descend, fait un geste convenu, comme un signal, et aussitôt des projecteurs innondent la place, de lumière. l'Homme remonte en voiture. C'est un gendarme français en tenue. Il fait partie du convoi qui amène deux jeunes hommes en prison. Nous sommes devant la prison de Riom, la maison d'arrêt très exactement, qu'il ne faut pas confondre avec la centrale , où sont détenus à de longues peines de réclusion, les condamnés de droit commun.
Les voitures avancent lentement et franchissent les quelques mètres qui les séparent de l'entrée. Un mur très haut et sinistre apparaît, à chaque angle, un mirador occupé par deux hommes armés de fusils-mitrailleurs, qui manoeuvrent un projecteur qui balaie de ses rayons lumineux tout le devant de la bâtisse. Un grand portail apparaît, sinistre lui aussi, comme une porte de prison, c'est le cas de le dire. A hauteur d'homme, en son milieu, un judas et sur le côté, une sonnette. Le gendarme qui avait fait les signaux de reconnaissance tout à l'heure, redescend de voiture et va sonner à la porte. Aussitôt, le judas s'ouvre et une brève conversation s'engage entre les deux hommes. Quelques secondes plus tard, le grand portail s'ouvre pour laisser entrer les voitures, et se referme aussitôt derrière elles. Nous sommes dans la première cour de la prison. En face du portail se trouve des grilles fermées à clef, à gauche, un escalier conduisant au mur de ronde. A droite le greffe, où se font les formalités d'écrou.
Les portières des voitures s'ouvrent brutalement, en sortent quatre gendarmes qui poussent devant eux, deux jeunes gens, mal en point, menottes aux poignets. Ces derniers ont été arrêtes en fin d'après midi par ces mêmes gendarmes, Français comme eux, et son conduits maintenant au greffe de la prison, pour la réception d'usage. Après avoir reçu une décharge signée par le gardien-chef de la maison d'arrêt, les gendarmes s'en retournèrent dans leurs véhicules, des voitures à essence réquisitionnées à des civils, car les brigades de gendarmeries de l'èpoque, n'étaient pas motorisées, les "pandores" se déplacaient à vélo. Lorsque c'était indispensable pour accomplir leur mission, ils réquisitionnaient à des particuliers des véhicules à essence, car le carburant était en grande partie composé par le gazo-bois. Ce n'était pas rapide, salissant et les risques d'arrets étaient féquents.
Pour en revenir à nos deux jeunes lascars, , ils font grise mine dans le bureau du gardien. Pas fières les deux gars, et pourtant ils n'ont ni tué, ni volé. Commence les formalités d'identité, la fouille.
( Michel Luxembourg parle maintenant à la première personne).
Nos gardes-chiourmes nous ont conduit vers le poste de garde où se trouvait une sorte de "photomaton" pour nous photographier. Les photos faites, ils nous ont délivrés des cartes d'identité.
Un beau matin, à l'aube, il nous ont fait descendre dans un espèce de garage, où nous attendait un autobus. Nous sommes montés dedans sous la menace des mitraillettes, et direction la gare. Ils nous ont fait monter dans un wagon de voyageurs (nous avions le luxe de ne pas voyager dans un wagon à bestiaux). Deux camarades, dont un nommé Delorme, de la Haute Loire, ont été menottés, parce qu'ils avaient protesté. Menottes aux mains, nos copains avaient triste mine. En les voyant, je ne sais pourquoi, un fou-rire m'a pris. C'était nerveux vraisemblablement.
Nos deux gardiens armés de mitraillettes ont pris place sur les deux plateformes du wagon, fenêtres fumées, avec défense de bouger. Le wagon a été rataché en queue du train régulier de Paris, juste avant le dernier fourgon. C'était le jeudi 6 juillet, le lendemain de l'arrivée à Dachau de mes camarades survivants du train de la mort, et le jour où ma mère est venue pour me voir, suite au télégramme cité plus haut.
En passant à Moulin, mon copain arrété en même temps que moi, a voulu saluer un camarade cheminot se trouvant sur le quai, mais l'autre ne l'a pas vu, ni entendu, car les gardiens nous empêchaient d'ouvrir les fenêtres, et même de faire des gestes.
Arrivés à Paris, gare de Lyon, nous avons été pris en charge par des autobus de la CTRP, sous bonne garde, impossible de s'échapper. Nous avons été conduits à la caserne de la Pépinière, arrivés là, nous avons été mis dans de grandes cages grillagées, comme des gorilles au zoo. Nous étions gardés par des soldats allemands pacifiques, des vétérans, qui devaient avoir fait la guerre de 14-18. Nous parlions avec eux librement, sans aborder le sujet qui nous avait amenés là !
Au cours d'une de ces conversations, l'un d'entre eux, nous dit "guerre, c'est capitalisme responsable". Il était visible que ces soldats ne croyaient plus en leur victoire. Ils auraient préféré être dans leur foyers, avec leurs femme et leurs enfants.
Vers midi, on nous a servi une soupe, mais pas de cuillère pour la manger. Il y avait des gamelles, on s'est débrouillés comme on a pu, quelques-uns, ont emprunté une cuillère trouvée par hasard, et on se l'est repassé.
En fin d'après midi, on nous a distribué à chacun, une boule de pain et une saucisse. Notre subsistance jusqu'à Cologne, notre destination.
Nouvel embarquement en autobus, et retour à la gare de Lyon, cette fois escortés par les Allemands de la Pépinière. Nous avons embarqués dans des wagons de voyageurs de banlieue, des vieux wagons qui comportaient une portière à chaque compartiment. Une fois montés dedans, les portières ont été verrouillées. Il était tard, la nuit tombait. Je calculais comment je pourrais sauter du train en marche, j'avais conservé ma vieille capote militaire, que j'avais fais teindre en noir après ma démobilisation de l'armée d'Armistice.
La nuit tombait et le train s'ébranla doucement. Tout à coup, des illuminations dans le ciel, suivis d'un bruit d'enfer, les Alliés bombardaient la gare de Villeneuve-Saint-Georges. Le train s'arrêta, et quelqun cria "sauve qui peut". Les portes furent ouvertes, par qui ? Je l'ignore! Nous en avons tous profité pour sauter des wagons. Le bombardement se poursuivait, il y avait des palissades en ciment le long de la ligne de chemin de fer, nous avons sauté avec allègresse, et nous sommes arrivées dans des jardins. C'était vers Maison-Alfort. Nous courrions de toutes nos jambes. Je me suis retrouvé avec deux gars de mon âge, déportés comme moi, un était de Saint-Germain en Laye, et l'autre de la Haute-Loire. Ce dernier était interné à Riom.



Aucun commentaire: